vendredi 20 octobre 2023

la para-commando

 


Noémie est si jolie qu’elle pourrait concourir et devenir Miss Belgique. Mais elle a décidé d’entamer une carrière militaire. Chez les para. Je connais un général para-commando: Bernard, le père de mon pote Sébastien. Grand comme une petite montagne, pompes tous les matins, exercices de survie en forêt par un froid de steppe mongole. Il parle français avec un accent étrange alors que sa famille est belge depuis au moins cinq générations. Un accent que je situe entre celui du contrebandier breton et du pirate hollandais. Je pense que si le père de mon pote n'avait pas été para, il aurait été bandit. 


Il m’arrive souvent d’essayer d’imaginer Noémie en para-commando. Il y a comme un hiatus aurait dit ma prof de français. 

Elle a des combat shoes à la place de ses ballerines. Je ne vois plus ses chevilles ni même ses mollets. Elle porte un pantalon de camouflage informe, une veste pleine de poches et un gilet pare-balles. Cette vision imaginaire calme instantanément mes ardeurs. Puis je regarde son visage, ses yeux bleus, ses cheveux blonds qui dépassent du béret, j’ai une bouffée de chaleur et de désir. Elle rampe dans la boue en s’appuyant sur les coudes. Je suis désespéré. Elle escalade une construction en bois, tombe presque en marchant sur un filet à grosses mailles suspendu à au moins cinq mètres de haut. C’est mon coeur à moi qui chute. Les instructeurs sont des irresponsables. Cela n’existe pas dans la vraie vie des trucs pareils. Elle va se tordre une cheville même avec ses horribles bottines. Je sais qu’elle va devoir sauter en parachute mais c’est encore l’épisode le plus acceptable de ce cauchemar officiellement organisé. 


Noémie me parle souvent de son rêve. Elle me dit qu’elle aimerait cette vie de courses, d’exercices d’équilibre, de ramping; elle aime l’inattendu, les réveils nocturnes, elle aime même se salir! Je sais qu’elle est courageuse, infatigable, prête à tout. Après une nuit sans sommeil elle est encore toujours capable de discipline et de persévérance. Je l’admire sans limite!


Je sais qu’il est inutile de m’opposer de front à ce projet. Cela ne ferait que renforcer sa vocation. Je dois user de diplomatie, imaginer ce qui pourrait concurrencer l’attrait de ces exercices grotesques. J’ai observé ma grande soeur avec son bébé. Tenir le coup avec ce petit exige les qualités d’une para-commando! Il hurle de la même façon s’il a faim ou sommeil, il faut le bercer en marchant des heures durant sinon rebelote. Il faut garder son calme après plusieurs nuits quasi blanches. 

C’est un peu tôt pour proposer cette alternative à Noémie. On a quinze ans tous les deux. Je crois que les parents la trouveraient mauvaise mon idée si jamais j’arrivais à convaincre Noémie de changer de destinée. 


Ma mère m’a envoyé acheter trois kilos de chipolata. Faut que j’arrête de me faire du cinéma et que je me grouille sinon je vais me faire attraper. 


premier rendez-vous

 

  • Avez-vous vu l’expo de Roland Henrion?
  • Non. Vous bien?
  • Oui. Il m’évoque Hopper. Vous aimez Hopper?
  • Je ne suis pas une experte. Mais je sais qui est Hopper et j’aime ses ambiances. Cependant je suis toujours un peu gênée. Comme si j’étais voyeuse malgré moi.
  • Ah, étonnant…Vous voulez boire quoi? Un prosecco, un jus de pomme gingembre, un thé, autre chose?
  • Un prosecco me ferait plaisir.
  • Moi aussi. Je passe commande et je vous laisse un instant si vous le permettez pour aller chercher le catalogue de l’exposition de Roland Henrion. J’aimerais vous le montrer. 


Il quitte la table.


Elle: Oh non! Je veux bien parler des expos que je vois mais seulement aux gens que je connais. Je ne suis pas historienne d’art. Je dis ce que je ressens. C’est intime. Je ne vais pas raconter cela à un type que je vois pour la première fois. D’ailleurs je n’ai rien à dire en regardant des reproductions d’une exposition que je n’ai pas vue. Enfin, peut-être lui, il a beaucoup de chose à raconter à propos de cette expo. Il a l’air sûr de lui. D’un côté j’aime les hommes qui tiennent la route mais si je suis dépassée par leurs airs affirmatifs, je n’arrive pas à trouver une place. 

Je me souviens d’un autre gars, rencontré sur Meetic, avec qui je buvais un café. Il parlait sans arrêt. Cela ne m’ennuyait pas du tout. Heureusement! Il avait une vie passionnante. Mais je me demandais ce qu’il allait connaître de moi après une heure de monologue. Il a terminé en me demandant: « Alors que pensez-vous de l’heure que nous avons passée ensemble? » J’ai dit franco : « Intéressant à écouter, très intéressant mais je me demande quelle place j’avais? » Il a répondu sans sourciller: » Mais prenez une place, prenez une place! »

Sauf que quand tu as passé ta vie à écouter les mecs (et les nanas d’ailleurs) raconter leurs histoires, t’as pas l’habitude de prendre une place. T’as l’habitude d’écouter et d’écouter très bien même. 

Une place il faudrait qu’un jour on t’en donne une pour que tu t’entraînes à la prendre. Parce que t'es pas douée naturellement.

Je pourrais faire un « me too » à propos de « pas de place ». Je ne parle pas de mon ancien métier. Juste de mes entrevues actuelles avec quelques hommes sur les sites de rencontres. Une injure à leur intelligence.… 

Au premier rendez-vous, pas moyen de l’ouvrir. Il s’installe, il s’étale, il prend toute la place, tout l’air même. Je me demande si je vais pouvoir respirer à côté de lui. Si je ne vais pas recevoir une claque d’une de ses grosses mains qui s’agitent quand il parle. Y a pas eu de deuxième rendez-vous…

Je me souviens aussi de l’astronome spécialisé dans les trous noirs. Terrible littéralement. Il me faisait un cours sur l’intensité du champ gravitationnel de ces objets célestes tout en mangeant en face de moi. Indescriptible. Il postillonnait tous azimuts. J’ai réussi à occuper une place moins dangereuse, à sa droite, en prétextant que j’avais trop chaud près du radiateur. Je  risquais moins d’être atteinte par un projectile dont j’ignorais la qualité du champ  gravitationnel mais que je ne voulais pas rencontrer. 

Un autre homme était intarissable à propos de ses conquêtes précédentes et de ses prouesses sexuelles. Etrange publicité. 

Parfois je pense que je viens d’une autre planète. Les femmes de Venus et les hommes de Mars, on connaît le refrain. Mais les citations, les exploits, les diplômes !( j’ai aussi eu droit à la liste énoncée avec un air modeste)… tout, j’ai tout entendu. Ou lu. Hier, Emile par exemple, dans sa présentation sur le site « Disons Demain » invective les femmes qui ont des chiens. C’est une tare. Elles sont éliminées d’office. Il n’écrit rien d’autre. Eliminé lui aussi.


Bon, il ne revient pas. il rumine peut-être comme moi en cherchant son catalogue. C'est possible que sur les sites de rencontre les nanas soient prétentieuses et irréalistes. aux yeux des hommes...Toujours pas là... Cela m'inquiète.  II avait l’air à peu près normal au départ. Il va revenir j'espère. Je dois me calmer. Pas de préjugé...