- Avez-vous vu l’expo de Roland Henrion?
- Non. Vous bien?
- Oui. Il m’évoque Hopper. Vous aimez Hopper?
- Je ne suis pas une experte. Mais je sais qui est Hopper et j’aime ses ambiances. Cependant je suis toujours un peu gênée. Comme si j’étais voyeuse malgré moi.
- Ah, étonnant…Vous voulez boire quoi? Un prosecco, un jus de pomme gingembre, un thé, autre chose?
- Un prosecco me ferait plaisir.
- Moi aussi. Je passe commande et je vous laisse un instant si vous le permettez pour aller chercher le catalogue de l’exposition de Roland Henrion. J’aimerais vous le montrer.
Il quitte la table.
Elle: Oh non! Je veux bien parler des expos que je vois mais seulement aux gens que je connais. Je ne suis pas historienne d’art. Je dis ce que je ressens. C’est intime. Je ne vais pas raconter cela à un type que je vois pour la première fois. D’ailleurs je n’ai rien à dire en regardant des reproductions d’une exposition que je n’ai pas vue. Enfin, peut-être lui, il a beaucoup de chose à raconter à propos de cette expo. Il a l’air sûr de lui. D’un côté j’aime les hommes qui tiennent la route mais si je suis dépassée par leurs airs affirmatifs, je n’arrive pas à trouver une place.
Je me souviens d’un autre gars, rencontré sur Meetic, avec qui je buvais un café. Il parlait sans arrêt. Cela ne m’ennuyait pas du tout. Heureusement! Il avait une vie passionnante. Mais je me demandais ce qu’il allait connaître de moi après une heure de monologue. Il a terminé en me demandant: « Alors que pensez-vous de l’heure que nous avons passée ensemble? » J’ai dit franco : « Intéressant à écouter, très intéressant mais je me demande quelle place j’avais? » Il a répondu sans sourciller: » Mais prenez une place, prenez une place! »
Sauf que quand tu as passé ta vie à écouter les mecs (et les nanas d’ailleurs) raconter leurs histoires, t’as pas l’habitude de prendre une place. T’as l’habitude d’écouter et d’écouter très bien même.
Une place il faudrait qu’un jour on t’en donne une pour que tu t’entraînes à la prendre. Parce que t'es pas douée naturellement.
Je pourrais faire un « me too » à propos de « pas de place ». Je ne parle pas de mon ancien métier. Juste de mes entrevues actuelles avec quelques hommes sur les sites de rencontres. Une injure à leur intelligence.…
Au premier rendez-vous, pas moyen de l’ouvrir. Il s’installe, il s’étale, il prend toute la place, tout l’air même. Je me demande si je vais pouvoir respirer à côté de lui. Si je ne vais pas recevoir une claque d’une de ses grosses mains qui s’agitent quand il parle. Y a pas eu de deuxième rendez-vous…
Je me souviens aussi de l’astronome spécialisé dans les trous noirs. Terrible littéralement. Il me faisait un cours sur l’intensité du champ gravitationnel de ces objets célestes tout en mangeant en face de moi. Indescriptible. Il postillonnait tous azimuts. J’ai réussi à occuper une place moins dangereuse, à sa droite, en prétextant que j’avais trop chaud près du radiateur. Je risquais moins d’être atteinte par un projectile dont j’ignorais la qualité du champ gravitationnel mais que je ne voulais pas rencontrer.
Un autre homme était intarissable à propos de ses conquêtes précédentes et de ses prouesses sexuelles. Etrange publicité.
Parfois je pense que je viens d’une autre planète. Les femmes de Venus et les hommes de Mars, on connaît le refrain. Mais les citations, les exploits, les diplômes !( j’ai aussi eu droit à la liste énoncée avec un air modeste)… tout, j’ai tout entendu. Ou lu. Hier, Emile par exemple, dans sa présentation sur le site « Disons Demain » invective les femmes qui ont des chiens. C’est une tare. Elles sont éliminées d’office. Il n’écrit rien d’autre. Eliminé lui aussi.
Bon, il ne revient pas. il rumine peut-être comme moi en cherchant son catalogue. C'est possible que sur les sites de rencontre les nanas soient prétentieuses et irréalistes. aux yeux des hommes...Toujours pas là... Cela m'inquiète. II avait l’air à peu près normal au départ. Il va revenir j'espère. Je dois me calmer. Pas de préjugé...
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