Je suis l’Harmattan.
Le vent qui tourne les pages, qui raconte les histoires. Celles de la bibliothèque de Chinguetti, celles des parchemins et des livres sacrés, ramenés par les pèlerins de l’Islam, de partout, depuis des siècles. Les ouvrages d’anatomie, de calligraphie, de poésie, aux couvertures en cuir de gazelle ou de chameau.
Je pousse la température et la sécheresse vers leurs sommets en quelques heures. Je remplis de sable et de poussière de cailloux chaque bouche cachée sous le chèche. Je ponce les murs de pierre rose et sans relâche je détruis le travail des hommes qui s’obstinent à vivre dans le désert.
Tu es le Sirocco.
En Corse où je passe quelques jours, tu déposes mes souvenirs d’enfant qui rêvait des hommes bleus. Les images en couleur que je collais dans un livret qui racontait la vie des Touaregs, les caravanes qui passaient dans mes rêves.
Toi le Sirocco, tu effaces l’empreinte des pas des Touaregs croisés des années plus tard à Niamey. Privés de dromadaires, privés de zébus et de chèvres, fiers caravaniers devenus gardiens de maison, longues silhouettes minces se promenant deux par deux, la main dans la main de leur meilleur ami.
Il est le Khamsin.
Le vent d’Egypte qui a croisé Champollion pendant son long périple, maugréant, sacrant, déçu. Prolongeant son voyage lorsqu’enfin il découvre les trésors qu’il a étudié sur papier depuis des années. Ils sont devant lui, abrasés par le souffle brûlant du Khamsin.
Depuis 40 jours, il assèche sa bouche, poudre sa barbe de sable et lui emplit les yeux de larmes.
Elle est la Tramontane.
Elle vient du Nord Ouest. Elle a les yeux bleus des étrangers qui ont traversé le Languedoc, l’endurance des marcheurs, le souffle frais et le regard brillant de l’étoile polaire. Son nom invite les plus téméraires à la randonnée, au bivouac. Il faut de l’endurance pour aimer la belle Tramontane, la cousine du rapide Mistral, qui dégage le ciel et polit le soleil.
Nous sommes les vents de Tunisie.
Le Sheili, le Chlouc, le Cherch, le Banani, le Guebli, le Bech, le Chergui, le Gharbi.
Nous avons soufflé sur le printemps, enflammé les esprits, attisé la liberté, ôté les voiles des femmes. Et puis pleuré l’impasse, l’hiver et la faim.
Vous êtes le Pampero!
Vous rassemblez vos troupes dans les grandes steppes arides de Patagonie, vous soufflez en rafales glacées depuis les larges dos des baleines, îvres de vitesse vous courez vers le nord, vous vous engouffrez dans le Rio de la Plata, vous saluez Magellan, vous vous réchauffez aux pas du Tango, et vous crevez en orages sur Buenos Aires pour repartir cavaler dans la pampa.
Ils sont le noroît et le suroît, la brise et les alizés, les vents du Capitaine Nemo de mon enfance qui dévorait Jules Verne. Ils ont frayé avec le Nautilus, écumé les mers avec son équipage polyglotte. Ils ont peuplé nos rêves, allégé nos mémoires.
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