lundi 6 février 2023

le hasard, les astres, le destin... que sais-je?

Cette semaine là, à quelques jours d’intervalle, 
Ernest m’a quittée,
Un camion est entré dans ma façade et presque dans mon salon,
Ma grand-mère s’est suicidée.
Je ne m’attendais à aucun de ces évènements. 
Ernest me disait que j’étais la femme de sa vie.
Ma rue descend en ligne droite et est peu fréquentée.
Ma grand-mère était croyante et en bonne santé.

    Je ne vais pas développer le premier évènement: je suis larguée par Ernest. Je sais depuis longtemps que, comme la schtroumpfette, les hommes sont légers, volatiles, roués, mensongers, de mauvaise foi, inconséquents, sots, rusés… (Je n’invente rien, c’est la recette de Gargamel pour fabriquer une schtroumpfette: un peu de légèreté, de volatilité, un brin de rouerie, un soupçon de mensonge etc…) 
Que Ernest, qui est un homme, quitte illico la femme de sa vie alors qu’il vient de lui faire cet aveu, c’est banal presque. Cet abandon était accompagné de plaintes, de mea culpa, d’aveux de vénération, « je suis le dernier des derniers, je rate toutes les occasions d’être enfin heureux, le bonheur n’existera jamais pour moi, je t’aimerai toujours et à jamais. » - c’est bizarre cette expression, non?-  Il y en avait tant et tant que j’avais presque pitié de lui. Pauvre homme. Privé de l’amour de sa vie au seuil de la vieillesse… J’ai été obligée de m’écrire dans un cahier pour me raisonner: «  Ne t’attendris pas.C’est lui qui a décidé de trancher notre lien à la hache, selon son expression. Tu vas finir par lui trouver des excuses dans son enfance comme dans les émissions psy sur RTL. Garde ta rage, ta rogne. C’est un lamentable looser oui! Il t’a mitonné un fameux canular de dernière minute. Non, non, arrête de pleurer, t’es dingue ou quoi. Mais non, tu ne vas pas lui écrire, tu ne vas pas l’attendre. T’es pas une midinette, tu ne vis pas dans un roman photo. Du punch ma vieille, trouve un amant ou achète un canari! Occupe-toi quoi! »

Bon, je veux bien faire une seule concession en sa faveur à Ernest. Il a peut-être été sous l’influence de la comète qui risquait, selon la NASA, de percuter la terre dans les jours suivants.
 
    Deux jours après cette rupture brutale, un camion est entré dans ma façade. Tout aussi brutalement. Pas n’importe quel camion. Un camion Tata, un camion indien, rouge vif, entièrement décoré d’une surabondance d’ornements jaunes de toutes sortes. J’en ai vu beaucoup de pareils dans l’Himalaya. J’ai compris trop tard qu’il manquait ici quelque chose d’essentiel pour la conduite de ces engins: les poteaux couverts de citations qui rythment le temps sur les routes en lacets que parcourent les camions Tata. Les routes sont en Indes beaucoup plus dangereuses que la rue Loiseau à Namur mais les recommandations surprenantes de sagesse que lisent les conducteurs tous les 500 mètres les incitent à une conduite prudente. Déporté en occident, un conducteur de Tata perd le nord même en ligne droite. Sans ses balises habituelles, il se retrouve logiquement quasi dans mon salon.

Je m’interroge cependant à propos de l’influence maléfique de l’astéroïde sus mentionné sur la conduite d’un véhicule mythique en dehors de son lieu d’origine. Les astres condensent les difficultés, on le sait.
 
    La semaine suivante, ma grand-mère s’est suicidée. Une expérience brutale pour elle et pour moi. J’ai toujours cru qu’elle était croyante et incapable de ce geste. Mais depuis son décès, je doute. Je connais sa curiosité, son insatiable curiosité qu’elle comparait à celle de l’enfant d’éléphant de Kipling. Je l’ai vu faire de l’escalade à 80 ans, apprendre le russe deux ans plus tard -difficilement il est vrai- s’inscrire pour un championnat d’aviron sur la Meuse et passer avec succès l’épreuve éliminatoire à 84 ans. Son équipe n’a pas été sur le podium mais presque...
Quand j’y repense, ces deux caractéristiques, intense curiosité et brillante santé, auraient dû me préparer à son suicide. Ma grand-mère chérie n’a pas pu attendre  plus longtemps pour découvrir le mystère d’une vie hypothétique  après la mort, elle à qui mon grand-père disait: «  on devra t’achever au fusil tellement tu tiens la forme… ». Elle a trouvé une solution simple pour ne pas rester coincée sur terre avec cette question sans réponse. J’aurais pu prévoir cette issue. 

Et la planète, non la comète, ou l’astéroïde, enfin l’objet céleste qui s’approchait, cela a dû lui donner un coup de pouce. Une sorte d’eurêka astrologique.

Aucun commentaire: