La première fois que Solo pinça son nouveau stylo entre le pouce et l'index de sa main gauche, il fut si fier qu'il se sentit pousser des épaulettes. Jusqu'à présent, il n'avait pas trouvé de remède à son mal. Ce stylo, c'était l'instrument de sa victoire. Enfin, il allait vivre en paix, délivré des histoires anciennes qui hantaient ses nuits et ses jours aussi, parfois.
Ce stylo, c'était son salut, sa rédemption, la fin de sa quête. Un stylo qui glissait sur le papier comme un poisson dans la rivière, sans bruit, sans accroc. Grâce à lui, il allait visiter les abîmes marins de ses manques, capter ses rêves comme on ferre une truite argentée. Il allait désencombrer sa mémoire, faire une hécatombe de souvenirs, ouvrir une clairière dans la forêt d'histoires qui lui remplissaient la tête.
Une fois tous ses cauchemars couchés sur le papier, le balancier de ses jours allait revenir à l'horizontale. Il allait retrouver son innocence et marcher tranquillement à travers le reste de sa vie.
Solo érigea tout autour de lui une barrière de silence. Il se pencha sur la feuille. Les mots qui neigeaient dans sa tête tourbillonnèrent sur le papier. Le vent les poussait comme des oiseaux dans la tempête, la page se remplissait de banderoles calligraphiées: pas de vacances pour les lettres qui se précipitaient en longues phrases, se bousculaient pour s'échapper du stylo, couraient haletantes jusqu'au bas de la feuille, sautaient pour atteindre l'autre côté et repartir de plus belle, guirlandes crépitantes, éclairs zébrant le papier, trous noirs de mémoire.
Toute la nuit, jusqu'à l'heure du premier café, le stylo transfusa les souvenirs désordonnés de Solo. Au premier chant d'oiseau, Solo s'endormit sur la table, souriant comme un nourrisson.
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