mardi 2 avril 2013

Parfum de printemps.




L'air de ne pas y toucher,
léger comme des notes de clavecin,
petites bulles citronnées dans la lumière.

Son goût de jonquille m'amuse la bouche,
il s'étire au grand air, fougère qui se déroule,
au clair de lune, il fait l'acrobate.

Pieds nus, cœur au vent,
l'espace est déjà trop petit:
c'est le printemps qui déboule. 

ELLA




Raconter Ella, c'est vouloir parler de la couleur du vent.
Elle n'est pas belle Ella, elle est piquante, vibrante. Elle a les yeux en feuilles d'oranger, la peau couleur d'ambre. Parfois elle goûte la citronnelle, parfois la poire fraîche et  au creux de son genou, le zeste de mandarine. Ses cheveux jaunes sentent le petit grain. Son nez pointu cherche le vent.
Sans doute elle est née en haut d'une falaise normande Ella, face à la mer, un jour d'avril, froid, sec et clair. Cela lui a laissé un courant d'air dans le cœur et un air de pissenlit étonné.
Petite, vive, toujours entre le ciel et l'eau, Ella c'est une hirondelle qui tourne au dessus de ma tête, frôle mon visage, m'attrape un cheveu, se pose un instant près de mon cœur, repart loin, pousse un cri pointu...
Moi, j'ai le cœur qui bat de travers, j'ai le tournis d'hirondelle et je goûte le vent qui me ramène l'arôme citronné des petits seins d'Ella.  

Microcosme…dans un pot de fleurs.




Tout en bas, c’est chaud, découpé d’ombres, rêche comme une langue de chat ; sur un fond roux palpitent des galaxies presque noires, des petites étoiles blanches s’éparpillent, avec un soleil demi éteint et un anneau de Saturne égaré.
Cela s’arrondit doucement vers le haut pour rencontrer des surfaces vertes, duveteuses, très mobiles, dentelées, fragiles, filigranées de veines plus foncées. Elles voisinent d’élégants cônes ocres, aux petits corps dodus, aux pointes sêchées et flétries.
Tout au dessus, de jolis panaches soyeux  dansent  au vent : trois blancs striés de fuchsia, deux fuchsias bordés de blanc. Au centre de chaque assemblage, de légers et très fins filaments roses. L’un d’eux est plus foncé et s’achève en feu d’artifice.
Tout autour une odeur d’eau fraîche et une poussière de soleil.

La page blanche.




Je m’arrête devant une étendue blanche, douce, sans contours nets.
Je lève les yeux, je regarde vers le bas, c’est pareil partout.

Sur cette page blanche, quelqu’un écrit, de haut en bas, de droite à gauche, des lettres d’un alphabet inconnu, élégant et sauvage. Il se redresse, la page ondule, fait des plis, grands et petits. J’entends le souffle de celui-qui-écrit et peut-être aussi son cœur qui bat.

La page se déchire, se troue, se crève, le rouge jaillit comme un fleuve puissant et coule entre les plis, atteint le bord de la page et disparaît. Les mots qui restent pleurent ceux qui sont morts, engloutis. Dans leurs larmes, des arbres aux feuilles brillantes grandissent vite, très vite.

Une épaisse forêt couvre bientôt la moitié de la page. Celui-qui-écrit ne peut rien voir dessous. Pas une clairière, rien pour jeter un coup d’œil. Sous les grands arbres, à l’abri de la curiosité de celui-qui-écrit, j’aperçois un petit enfant joufflu, à la peau de miel, qui examine un à un, avec une grande attention, les espaces entre ses orteils.

Un homme mince, portant une barbe de plusieurs jours, un uniforme kaki délavé et de grosses bottines noires,  est assis sous un pin. L’air épuisé, il dit:
« Je suis fatigué, j’ai tant marché, j’ai les jambes usées jusqu’aux genoux, les mots de celui-qui-écrit pèsent trop lourd dans ma sacoche et je ne sais où les porter, ces mots rescapés des temps anciens. Tiens! Un très petit enfant qui joue avec ses pieds ! Il est dodu, il rit tout seul. Il fait tout calme autour de lui, comme si le monde l’attendait pour démarrer. »

L’homme se lève, il s'approche. L’enfant l’observe très sérieusement, très attentivement. Il soutient le regard de l’homme. Va-t-il se mettre à pleurer ? Le grand lui sourit gentiment, tout à coup le petit rit aux éclats. L’enfant qui gigote sur le sol,  est si rond, si potelé, si sûr de lui, il rit si franchement : on croit voir Gargantua bébé. L’homme s’assied près de lui, le petit n’a pas peur. Le grand pose son sac si lourd, les mots anciens s’agitent dans le sac. Il sort deux mots, au hasard. Ils sont beaux, je ne les comprends pas.  -Personne ne comprend les mots de celui-qui-écrit.-  Le dessin de leurs lettres n’a pas trop souffert du trajet, je les vois s’étirer, s’épousseter, lisser quelques plis. L’enfant tend les mains, l’homme les lui donne, les deux mots anciens brillent comme des hochets de soleil.

Les mots sautent dans les poings du petit Gargantua, forment des guirlandes de lumière qui filent jusqu’aux arbres, dessinent toute une phrase, les mots de la sacoche les rejoignent et sarabandent avec eux. Mais j’entends un crépitement électrique, je crains pour le bébé, non, tout va bien. Son rire s’étire sur le fil doré des mots vivants qui s’accrochent aux branches entre les feuilles lisses aux reflets éclatants. Les lettres les plus proches de moi s’emmêlent, poussées par le vent. Le vent raconte des histoires  avec les mots de celui-qui-écrit, des mots de fil brillant, des mots dessinés qui font rire les bébés.


mardi 11 décembre 2012

Manolo


Je suis Manolo. Je suis chiffonnier. Toute ma vie dans les odeurs des autres, à trier leurs pelures hors d’usage. Les couleurs des chiffons se sont ternies, à l’exception du rouge, qui reste vif et me surprend. Les loques s’entassent en montagnes incertaines, dessinant un pays aux frontières fuyantes.
La nuit, je reste seul et je me fais un monde peuplé de créatures scintillantes, passionnées, qui crient victoire et lèvent les jambes au ciel. Le matin, il n’y a plus que moi qui les vois, au milieu des tas informes de tissus gris.


            Manolo a quinze ans. Il a les yeux verts et les cheveux bruns, mi-longs, un visage doux, une bouche tendre, une fossette dans le menton. Sous ses vêtements trop grands, il est mince, Manolo. Ses mains et ses pieds sont sales, griffés, ses ongles abîmés. Le jour, Manolo travaille avec obstination, les yeux au sol, il trie les chiffons –tailles, matières, couleurs- il faut aller vite et ne pas se tromper. Pas de pause. Pas un mot.
Le vrai pays de Manolo, c’est la nuit. Un pays coloré, lumineux, aux habitants fantasques. Ils naissent accompagnés des chansons de Manolo, improvisées d’une voix très claire. La nuit, Manolo danse dans les bras des créatures de ses rêves. Sous sa jupe, on voit ses jambes fines. La nuit, Manolo est une fille.


            Malaya, c’est la ville de Manolo.
Ses nuages gris, son ciel étoilé. Sa poussière, son air frais. Sa géographie incertaine, sa cartographie magique. Son silence venteux, sa douceur chantante. Ses montagnes molles, ses grottes chaudes. Ses ruelles tristes, ses détours secrets. Ses habitants mornes, ses danseurs charmants. Ses garçons courageux, ses filles qui respirent. Ses guenilles déprimées, ses paillettes dansantes. Ses silences à hurler, ses opéras nocturnes. Sa grisaille anémique, sa joie colorée. Son train-train épuisant, ses heures de gloire. Son ordre imbécile, sa fantaisie amoureuse. Son avenir prévisible, sa créativité pétillante. Son soleil mélancolique et sa lune qui chante.


            A Malaya, on ne parle que du mariage de Manolo. Aujourd’hui, Manolo a vingt ans. Il se marie demain. Il épouse Asti. Asti est timide. Elle a dix-huit ans. Elle vient de la campagne. Ses yeux sont verts. Manolo ne peut pas en dire grand chose. Un chiffonnier ne fait pas de déclaration d’amour.
Demain, je me marie. Aujourd’hui, c’est la nuit et je parle à la lune. Je lui dis qu’il est beau, que ses yeux sont verts et que ses cheveux sentent bon. Sa voix d’homme est douce et parle à mon ventre. Ses mains touchent mon cœur. Je voyage avec lui dans un pays nouveau où le silence est parfumé, où la terre est chaude et les draps frais, où le temps s’écoule au présent, où les lits sont des îles blanches qui dérivent, où l’eau a l’odeur du champagne, où le pain craque et goûte l’enfance, un pays où je suis nourrie de lait et de miel, un pays où j’accepte que chaque jour soit le dernier.





L'origine de la parole.




La parole est née en Afrique, il y a longtemps. En ce temps là, les mots n'étaient pas encore nés. C'est la plus vieille femme de mon village qui m'a raconté cette histoire.

"Les mots sont nés un jour de grand ennui. Amma, mon arrière-arrière-arrière grand-mère et son mari  Andoumboulou avaient alors quarante ans. Leurs deux fils, Nommo et Yourougou étaient partis aux champs, le village sommeillait, la sieste avait heureusement interrompu la monotonie du jour.
Ce jour là, après l'amour, Amma avait parlé pour la première fois.
Les mots se déroulaient comme des fils de coton, s'assemblaient en torsade, se tissaient comme des bandes de couverture. Parfois Amma hésitait, puis reprenait le fil de ses sensations, comme la navette repart pour tisser la toile. Amma était intarissable et les mots chantaient comme les poulies du métier à tisser. Pressés par le peigne, les mots s'alignaient en phrases et la parole d'Amma se déroulait comme un tissu coloré.
Comme son mari Andoumboulou l'aimait, il la comprenait. Amma lui disait sa tendresse, son plaisir d'être désirée, sa jouissance d'avoir un corps, sa joie d'être si proches. Les mots d'Amma étaient comme des graines de courge qui tombaient dans le cœur tendre de son mari et y germaient. C'est encore toujours ainsi entre les amoureux.
Mais si les mots tombent ailleurs, sur l'aride, sur le rocailleux ou sur l'épineux, la langue fourche et fabrique un tissu de mensonges. "

J'ai aimé le récit de ma vieille amie. Je lui ai demandé: "Et que disait Amma avant la naissance des mots?"
Elle m'a répondu par une longue évocation mélodique qui me faisait percevoir pêle-mêle, le sable brûlant, le poil rêche des chameaux, l'odeur des chèvres, le goût du miel sauvage et celui du natron, le parfum léger du lait caillé,  le réveil dans les cases, la fraîcheur de la rivière d'où les femmes reviennent avec la jarre sur la tête, le ciel pâle avant le soleil du matin, la lumière de la lune, les lèvres du bien-aimé, la langueur de l'amour.


Amma savait exprimer tout cela  sans un mot.
Et son arrière-arrière-arrière petite-fille aussi.


jeudi 23 août 2012

Le bouste-frangue


Le bouste-frangue vient de s’échapper des mailles du filet. Il a aperçu une placucille. Jamais il n’en avait vue auparavant. Il en avait entendu parler dans les contes et il reconnaissait celle-ci à ses mouvements : les placucilles ont une démarche hésitante et charmante, elles se déplacent par mouvements circulaires et gracieux, suivis d’un petit plongeon : elles phéchappent dit-on.

Comment faire pour la suivre sans l’effrayer se dit le bouste-frangue ?
Il faudrait, comme un buzaheur, pouvoir échapper à ses regards, faire taire ma queue zonflante qui a tendance à décrire des araboles quand elle est en foufette, marcher thaubassant, thaubassant, très très thaubassant, pour que sa craloupette à elle ne soit pas en éveil. Et puis surtout, se séparer au plus vite de l’azéqual, mon fidèle gardien. Celui-là, elle ne va pas le supporter. J’hésite. Je l’aime mon azéqual.
Mais cette placucille est si jolie ! C’est décidé, j’abandonne mon azéqual au bas du filet, bien coincé, il y restera, il pousse un léger cri en y mineur et je vole vers la placucille, j’ai chaud, j’ai froid, quel émoi !