C’est la pensée étrange qui m’avait traversé l’esprit au
moment où le taxi me déposa devant la maison que j’avais louée cet été dans la
campagne italienne, près du lac de Trasimène. Il était huit heures du soir, la
route avait été très longue et j’avais très faim.
Je réglai le taxi, j’entendis le bruit du moteur s’éloigner
et je fus seul. Brusquement, je me sentais chez moi dans cet endroit que je
découvrais. Je me suis attardé dans le jardin.
C’était un jardin sauvageon dont il était difficile de
repérer les contours. La maison était derrière moi et une colline continuait de
grimper derrière elle. Un petit vent montait du lac que je pouvais distinguer
en contrebas, entre les bambous. Ce vent transportait des odeurs familières de
thym avec une pointe d’ail qui me
faisaient saliver. Puis, la fraicheur de l’eau arriva jusqu’à moi au travers de
la chaleur de la fin de journée. Un peu après, je sentis une très délicate
odeur de fumier de cheval, juste un soupçon lointain. J’aime l’odeur du fumier
de cheval, je ne sais pas pourquoi.
-« Non, pas de cheval, d’éléphant, mon petit ! Je
ne dois pas te le rappeler tout de même. C’est avec des éléphants que je suis
venu ici ! Tu n’étais pas né bien sûr. Tout ce déménagement, avec les
éléphants, bonne idée pour impressionner l’adversaire mais stratégie épuisante
que j’ai bien regrettée le soir où nous avons campé ici, sur cette colline. Je
devais faire bonne figure devant mes lieutenants mais des kilomètres à dos
d’éléphant, dans un environnement qui ne leur convient pas, à convaincre les
bêtes de continuer d’avancer, tu n’imagines pas le travail ! J’avais mal
au dos, mal aux fesses, j’avais faim, je rêvais d’un lit douillet. Je me suis
écroulé ici, près des bambous. J’avais un petit avantage sur le reste de la
troupe : quand tu t’appelles Hannibal, tu ne dois pas te faire à manger.
Une jolie cantinière, blonde, une étrangère venue du Nord sans doute, est venue
m’apporter un plat qui sentait bon le thym et l’ail. Elle s’est un peu attardée
après le repas et c’est ainsi que tu fais partie de la famille. »
Moi j’avais trop faim pour réfléchir et puis, c’est vraiment
cela, le problème avec les morts : ils ne peuvent pas te faire à manger.
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