lundi 20 août 2012

rencontres nourrissantes


Je me souviens de notre première rencontre.

"Salata de vinete", ce sont les premiers mots de ta bouche. Une bouche pulpeuse, "dulce", aux lèvres bien dessinées, une bouche prête à savourer le doux, l'amer, le piquant. Je ne te quittais pas des yeux. Là, debout, en tablier blanc, tu détaillais déjà une autre recette, tes mains virevoltaient sur une râpe à légumes imaginaire, les aubergines et les oignons rissolaient, le vin cuisait,un parfum de cumin remplissait la pièce...

Ton tablier blanc, c'était ton tablier d'infirmier, moi j'étais au lit, dans une chambre d'hôpital, pas maquillée, pas coiffée, les jours cuites de fièvre, la tête comme une marmite, désespérée...


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Elle:
"Ça y est, j'y suis enfin. Cela fait si longtemps que je l'imagine, c'est mon buisson ardent, mon bouquet de rêve, mon chant du cygne peut-être: passer une nuit, au cœur de Paris, sous les voûtes de Notre Dame. J'ai quatre-vingt-cinq ans, il est grand temps.

Je n'avais pas prévu que les chaises seraient si dures! ce ne sont pas des canapés. Huit heures là-dessus, ça va me rissoler les fesses ou me concasser les genoux.
Tiens, là-bas, qu'est-ce que c'est? On dirait un ange au bain-marie dans un bénitier. C'est joli dans la lumière qui fait flamber les tuyaux d'orgue et dorer les poussières qui volent.
Et dans ce coin-ci, ils ont installé un Saint Joseph aux yeux bridés: un don des japonais peut-être, il y en a tellement ici..."

Lui:
"Mais bon sang, qu'est ce qu'elle fout là, cette vieille? J'espérais au moins travailler sans témoin, coolos, à mon rythme. Mais elle va m'observer des que je vais frémir un brin.
Technicien de surface à Notre Dame de Paris, tu parles d'un boulot. Évidemment, je dois travailler la nuit. Le jour, au milieu des japonais et des guides qui agitent leur parapluie, pas possible. Et finalement, la nuit, ici, quand je suis seul, je me marre. Je mijote une savonnée dans mon seau, je barde ma raclette d'une serpillère farcie de mousse blanche, j'écume les dalles de marbre, je nappe ensuite mon torchon de cire, je fais briller les volutes en bois des confessionnaux... et quand j'ai terminé, je me fais pocher un œuf sur trois bougies lardées de pointes métalliques!

Si cette Mamy m'empêche de faire ma petite cuisine, je la découpé en zestes, j'en fais un aspic de grand-mère et je la bouffe sur le champ!"

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Je suis né dans une rivière du Nord. J'avais mille frères et sœurs. J'ai grandi sans m'en apercevoir, dévorant, jouissant, vivant, jaillissant, palpitant, engouffrant, frémissant puis porté, emporté vers l'océan.

Le battement des vagues, le goût du sel, le bleu du dessus et celui du dessous, la chaleur du soleil, le bruit de la tempête, et moi, tranquille au milieu de mes frères.

Puis commença un long voyage. Quitter le large, se rappeler la rivière, remonter le courant, retrouver l'odeur des berges, le foisonnement des insectes, les galets, les herbages et sentir l'eau de ma naissance qui caresse mon ventre.

Douleur aiguë, hors de l'eau je perds le souffle, tout s'arrête.

Dans vos yeux, autour de la table, je vois les nuages gris, la pluie de mon enfance, l'ombre de l'océan, le reflet des forêts, les brisures de soleil.
Que cherchez-vous? Le goût de la liberté?

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