« Hétérotopie". Un mot découvert par hasard, entre deux autres. Inédit, exotique.
Son premier sens est médical: c’est le terme désignant une anomalie congénitale entraînant la formation de tissus - association de cellules composant un organe-dans un endroit du corps où il ne devrait pas se trouver normalement. Cela ne m’a pas vraiment transportée d’enthousiasme.
Et puis j’ai lu que Michel Foucault en a donné une autre définition qui me fait rêver: l’hétérotopie ce serait la localisation physique de l’utopie, un espace concret qui héberge l’imaginaire. Elle peut désigner tout lieu qui, pour le meilleur et pour le pire, obéit à des règles différentes des règles communes de la société. ( librement adapté de Wikipedia)
Après cette lecture, j’ai tout à coup aperçu mon hétérotopie à moi, qui restait invisible jusqu’à ce jour. C’est une petite cabane de trappeur qui se déplace par glissades légères sur des fils brillants. Parfois, elle va à toute allure, bondissante et joyeuse. Les rêves qu’elle fabrique s’échappent en pétales colorés par ses fenêtres. C’est un printemps bourdonnant. D’autres fois, elle se traîne à reculons de tristesse, sans avenir, boudeuse.
Je l’ai observée des jours durant, en buvant du thé, assise dans le grand fauteuil de mon père. Elle fait toujours le même trajet: entre mon nord (qui bégaye affreusement) et mon sud ( négligé depuis tellement). Il y a un point près de mon coeur qu’elle fait carillonner.
A force de la regarder, je connais ses faiblesses. Le drame, c’est lorsqu’elle s’arrête près de mon cerveau, tout juste à côté de la partie frontale, celle qui mouline les idées à tout berzingue, croit qu’elle a toujours raison et veut avoir le dernier mot. Lorsqu’elle s’installe là haut, c’est vraiment le pire. L’enfer des prévisions et des regrets. Tout noir et blanc. Un cinéma désespérant d’insomnies. Et elle reste coincée là, à ruminer en vain. Je ne sais pas comment la sortir de cette impasse.
Elle s’enlise parfois ailleurs, à mi-chemin entre mon nord et mon sud. Il doit y avoir un marécage dans ce coin-là. Un endroit plein de vapeurs tristes et monotones. Je la vois s’enfoncer dans un brouillard froid et sans espoir. Cela me fait peur. Je crains de la perdre pour de bon. Comment l’aider?
Avec le temps, j’ai compris que les hétérotopies, la mienne en tout cas, se mobilisent grâce à la lumière de la lune, aux marches silencieuses et forestières, au son du violoncelle et du vent dans les peupliers, aux marées d’équinoxes ( il faut de la chance, il n’y en a pas souvent), à l’odeur du pain et plus rarement du mimosa. Parfois, il faut beaucoup de tout cela pour convaincre mon hétérotopie de se laisser glisser doucement vers mon sud.
Lorsqu’elle y arrive, si elle se laisse aller, c’est la fête. Mon sud l’accueille, il lui tourne autour, il s’y attache, il aimerait qu’elle s’installe, qu’elle prenne ses aises, qu’elle laisse sa porte ouverte jour et nuit. Il a peur qu’elle s’en aille, qu’elle s’en retourne ailleurs, loin. Il aimerait trouver un magicien, un joueur de flûte, un danseur pour envoûter cette hétérotopie qu’il aime tant. Elle resterait là alors, sans vouloir remonter vers mon nord qu’elle perdrait à tout jamais. Mais c’est impossible, elle repart toujours. Je ne sais pas pourquoi.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire