Dans le hall d’un vieil Hilton, je découvre un canapé de deux mètres de long. Plus de deux mètres, peut-être. Un canapé baroque, sexy , un canapé de vieille pute distinguée. Couvert de velours rouge magenta, un rouge qui va bien à l'ambiance inattendue de cet hôtel . Le dossier est tout en courbes voluptueuses, étonnantes.
Le pli qui marque la rencontre entre le siège et le dossier est extraordinaire. Je l’examine avec attention. Aux deux extrémités de ce pli, mon regard s'enfonce dans des espaces vides, en forme de gouttes. Au travers de ces vides si féminins, si je m’approche, je peux apercevoir une toute petite partie du sol à l'arrière du canapé. Ces vides m'hypnotisent et m'attirent irrésistiblement: mes doigts aussi passent au travers, en frôlant les bords doux et tendres, et j’aimerais caresser le décor, de l'autre côté.
L'assise est si large que pour nous asseoir, ( j’écris « nous », parce qu'il est impossible de survivre seule sur un canapé de cette sorte quand, à deux, on a déjà le sentiment d'être une île minuscule, perdue dans un océan magenta: deux, c'est le nombre minimum pour ne pas y perdre la tête et se noyer. J’ai donc été obligée de trouver un complice courageux pour partager l’aventure. Un homme qui comprenne qu’il a pour mission temporaire de m’aider à affronter un péril inédit et fantastique. L’heure tardive et le lieu ont été propices: un vieux et brave navigateur de rêves cabote dans le hall de ce vieil Hilton à 11 heures du soir. Il m’a suffi de lui dire: « J’ai peur de m’asseoir seule sur ce canapé fantasque, voulez-vous m’accompagner un instant? ») pour nous asseoir confortablement donc, lui et moi, nous devons presque nous coucher, jambes étendues, dos ployés dans le pli magique, obligés de laisser nos regards se perdre vers les hauteurs.
Alors, nouvelle surprise, dans cette position qui m'évoque les orgies romaines, nous découvrons le dessus d'une colonne en marbre gris foncé, au chapiteau doré, une colonne de théâtre baroque. Au sol, à hauteur d’homme, il n’y avait qu’un mur. La colonne démarre plus haut. Elle n’a pas d’autre fonction que d’étonner ceux qui s’asseyent sur le canapé.
A gauche, au bout du canapé magique, très loin, une lampe sur pied ressemble à un sèche-cheveux de coiffeur des années 60: la dame est partie, elle était au bout du canapé bien avant nous, nous avons dû la faire fuir, en bigoudis.
A droite, en hauteur, une vitre laisse voir des appareils inconnus et un type dont le crâne rasé ou tout à fait chauve, est posé sur sa main droite. Il est 23h30 et j’essaye en vain d’imaginer les fonctions de cet homme qui n'a pas l'air heureux.
Pendant cette demi heure, tout flotte, même les fleurs blanches sinueuses comme des algues, sur le tapis rond et noir, aux pieds du canapé de rêve. Un homme d'une trentaine d'années, tout de gris vêtu, passe et repasse devant nous. Il tire une valise et porte deux sacs. Plusieurs fois, il appelle l'ascenseur puis se retourne et repart.
Je crois rêver…mais non...
Les moustaches de Dali voguent sous mes paupières. Que le mauvais goût du décorateur soit loué. D’autres que moi pourront tester le canapé psychédélique magenta…
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